20.3.18

Un grand match et une immense frustration

Oui, cette finale fut grandiose, spectaculaire, un peu folle et pleine de suspense. Elle fut même tendue et électrique, avec quelques bonnes prises de becs ici ou là, ce qui devient malheureusement rare sur le circuit. Une finale qui ne fut pas sans rappeler celle de l'US Open 2009 entre ces deux hommes. Là aussi, notre Rodgeur national s'était énervé contre l'arbitre et avait perdu un certain influx. Là aussi, le Bâlois aurait dû remporter la rencontre et avait les occasions pour le faire. Là aussi, il a fini par perdre et craquer complètement en fin de match. 6-2 à New York dans le cinquième set ; 7-2 à Indian Wells dans le tie-break dont deux horribles doubles fautes. Ou comment solder bêtement une finale.

Oui, les similitudes sont nombreuses et la frustration est tout aussi grande. On était tous franc-fous en septembre 2009, on l'était tout autant dimanche soir devant notre télé. A deux doigts d'exploser l'écran avec ma chope de Paulaner ! Alors que le Maître avait fait le plus dur en signant le break à 5-4 au troisième set et qu'il menait 40-15 sur son service, il s'est totalement fourvoyé. Comment un homme qui a gagné 20 tournois du Grand Chelem peut-il tenter deux amorties aussi moisies sur deux de ses trois balles de match ? Pourquoi n'a-t-il pas demandé le challenge sur ce premier service qui effleure la ligne à 40-30 ? Autant de questions qui resteront sans réponse et qu'on aurait meilleur temps de ranger au placard et d'oublier au plus vite. Tu sais, un peu comme ce premier rendez-vous Tinder qui tourne au vinaigre parce que la miss a omis de te dire qu'elle bégayait et qu'elle portait un appareil dentaire que ne renierait pas une adolescente de 13 ans.

Bien sûr, Juan Martin Del Potro est un superbe vainqueur et on est sincèrement content pour lui. Ce mec, trahi par son corps et – un temps – perdu pour le tennis, revient de nulle part et mérite un tel titre, son premier en Masters 1000. C'est accessoirement un bon type et un joueur qui prend des risques et attaque. Très loin des Nadal, Djokovic et autre Murray qui sont à l'ennui et au jeu de défense ce que Pascal Broulis est à l'évasion fiscale. Et je conclus ici ce paragraphe élogieux (on n'est pas là pour se passer la pommade, merde). 

Aujourd'hui, la déception est immense et il faudra quelques jours pour digérer ces trois balles de match et cette affreuse défaite. Tout était pourtant réuni pour une nouvelle grande victoire après ce tie-break d'anthologie et cette rage – comme c'était beau ! – affichée par le Maître. C'est aussi comme ça qu'on aime le voir : dans le dur, dans la résilience, dans le combat. Comme samedi face au surprenant Coric. Bref, il a manqué un ou deux centimètres, un challenge et un peu de lucidité pour qu'on célèbre cette semaine un 98ème titre et qu'on ressorte la panoplie complète des adjectifs dithyrambiques. On se contentera à la place d'attendre Key Biscayne et de conseiller au Rodg de raser cette vilaine barbe et à Marc Gisclon de mettre un peu plus de niaque dans ses commentaires.

1.3.18

Bande de cons !

Et j'ajouterais : crétins, connards, serges, bobets, blaireaux, imbéciles, têtes pleines d'eau, abrutis, inconscients, bref, bande de Gérard Piqué, le joueur le plus con du 21ème siècle ! Tu l'as deviné, je parle bien sûr des dirigeants de l'ITF, l'International Tennis Federation, qui ont annoncé cette semaine vouloir définitivement tuer la Coupe Davis l'an prochain. Ces visionnaires souhaitent donc «««remplacer»»» cette compétition mythique par une sorte de «coupe du monde du tennis» étalée sur sept jours, organisée sur terrain neutre et disputée en mode express (finis les cinq sets et les rencontres au meilleur des cinq matches...). Une merde sans nom qui n'intéressera personne, même si Federer, Nadal, Sampras, Agassi, Rod Laver, Elvis Presley, Michael Jackson, Cléopâtre, Napoléon, Jésus Christ ou ma couille gauche y participent. Bref, ne me parlez pas de remplacement, c'est un enterrement en bonne et due forme. RIP Davis Cup.

Ce que ces mecs n'ont pas compris,
c'est qu'on ne pourra jamais retrouver la passion, la folie et l'adrénaline d'une rencontre de Coupe Davis dans cette espèce de Hopman Cup réservé aux hommes, sans âme ni histoire. On ne pourra jamais remplacer ces ambiances incroyables, ces scénarios complètement dingues, ces affiches improbables, ces craquages d'anthologie ou ces héros d'un jour que seul un week-end de Coupe Davis peut nous offrir. On ne retrouvera jamais le piment d'un affrontement entre deux pays dans une salle comble, chauffée à blanc trois jours durant. JAMAIS. 

Qui n'a pas des étoiles dans les yeux en repensant, un quart de siècle plus tard, à ce Suisse – Brésil à Palexpo et à cette finale à Fort Worth ? Qui a oublié ce Forget – Sampras et cette Saga Africa à Lyon en 1991, ce Suisse – France à Neuchâtel en 2001, la revanche de 2003 à Toulouse (ah, cette victoire en double avec le Maître...) et, plus près de nous, cette apothéose à Lille en 2014 et la naissance de la Ballade des Gens heureux ? Qui n'a pas été touché par la détresse de Paul-Henri Mathieu à Paris, la patate de Novak Djokovic à Belgrade, l'hystérie de Radek Stepanek à Prague, les larmes d’Andy Murray à Gand ou la rage de Juan Martin Del Potro à Zagreb ? Pour des millions de fans de la petite balle jaune à travers le monde, leur meilleur souvenir tennistique rimera souvent avec Coupe Davis. Des instants magiques qu'on ne pourra plus jamais revivre ailleurs, et surtout pas dans une compétition de raccroc comme l'a proposé l'ITF. Ces fossoyeurs, du haut de leur tour d'argent et de leur obsession mercantile, ont oublié que cette Coupe Davis a vu naître des générations de passionnés. Et que, même si elle fut régulièrement boudée par les meilleurs, elle reste un formidable vecteur d'émotions.
 
Comme je l'ai également dit à maintes reprises, la Coupe Davis est la plus belle des vitrines du tennis dans des pays qui n'ont pas la chance d'accueillir de Grand Chelem ou de Masters 1000, ou même des ATP 500. Tu crois que des nations comme la Serbie, la Croatie, la République tchèque, la Belgique, l'Argentine, l'Ecosse ou même la France auraient pu vibrer ces dernières années pour ce sport, pour notre sport sans la Coupe Davis ? Tuer cette compétition, c'est priver toutes ces contrées de grands moments de tennis et, aussi, priver des dizaines de fédérations d'une source de revenus importants.

On ne retrouvera rien de tout ça dans ce bricolage imaginé par l'ITF et ce groupe d'investissement présidé par le footballeur (!) Gérard Piqué, lequel – non content d'avoir la plus belle tête à claques du Barça – vient foutre le bordel dans notre sport préféré. Qu'il se contente d'allumer le Real Madrid sur Twitter, de crémer Lionel Messi sous la douche, de rouler de pelles à Ibrahimovic sur un parking et d'engrosser Shakira ; le reste on s'en occupe, merci pour nous. Gérard Piqué qui vient signer la mort de la Coupe Davis, c'est comme si Yves Allegro annonçait la fin de la Ligue des Champions ou si Jérôme Rudin créait une société afin d'anéantir le Montreux Jazz Festival. 


Bref, l'heure est grave, la catastrophe est proche, la fin d'une époque à portée de raquette, il ne nous reste plus qu'à espérer que l'ITF change d'avis et se rende compte de la monumentale erreur qu'elle est en train de commettre. Mais l'espoir est aussi minuscule qu'un sacre de Serena Williams au concours de Miss Monde : peu de joueurs ont osé prendre la parole pour dénoncer ce choix et certains se sont même réjouis de cette réforme, comme Djokovic ou Murray, et c'est une vraie déception. Finalement, c'est peut-être moi le connard, le naïf, le romantique ou le nostalgique. Je devrais accepter que le tennis que j'ai aimé ne sera plus jamais pareil, que le sport-business aura toujours le dernier mot et qu'il faut faire le deuil d'une certaine idée du tennis. Je dois également accepter l'idée que, le jour où il n'y aura plus de Coupe Davis ni de Roger Federer, ce sport n'aura plus grand-chose à nous offrir...